C’est à la première veillée funèbre, que le MARIUS a, pour la première fois, entendu l’armoire de la chambre craquer.
Il était bien marri, le MARIUS, il avait tout abandonné : sa ferme, ses bêtes, le village sur les conseil du médecin qui ne pensait pas pouvoir prolonger sa femme plus longtemps en montagne. L’était venu habiter en immeuble. C’était plus moderne : y avait même un wc intérieur et une salle de bains…c’était quand même mieux que de se geler les fesses en plein hiver pour aller au milieu du jardin. On avait chaud aussi, avec le chauffage central qui ne demandait pas de recharger sans cesse le poêle…de cette manière, pendant qu’il travaillait,, qu’il lavait la boue des escaliers, qu’il ramassait les coquilles d’œufs que les locataires jetaient par les fenêtres, qu’il engueulait le gamin qui pissait du balcon du sixième sur les gens qui passaient, sa femme pouvait rester bien au confort…
Mais voilà, malgré tous ses soins, malgré tout son amour, voilà qu’elle était raide…Depuis si longtemps qu’elle souffrait le martyre, la mort survenant avait détendu ses traits, elle avait trouvé un peu de sérénité, et si le BON DIEU qui l’avait tant éprouvée était juste, elle devait bien être allée tout droit au paradis… Mais lui, qu’allait-il devenir ?
C’est au moment où sa pensée se posait cette question que l’armoire s’était mise à craquer…
Cette armoire, c’était celle que le grand-père avait spécialement fait fabriquer au menuisier pour la leur offrir le jour de leur mariage, il y avait…un quart de siècle !Elle était de de bon orme, solide et épais, de ces bons meubles qui durent pour dix générations…
Mais voilà qu’elle craquait chaque fois qu’il se posait cette question. Alors, le MARIUS s’est rappelé que, après la mort, si on a besoin de quelque chose, on n’a pas d’autre moyen que de faire parler les objets. Il s’est penché doucement sur le corps de la morte que la maladie qui épuise avait tout raviné… »Mais qu’é que t’as, MARIE ? Qu’est-ce donc qui te manque ? »
Il lui avait pourtant bien fait sa toilette… mis sa plus belle robe, et mis son chapelet… Le corps froid de la morte se taisait, mais l’armoire craquait…
« J’ai pourtant bien remis ta culotte, tes bas, ton cotillon … » craquement encore…
« Ah ! tu veux tes lunettes ! parce que, dans les ténèbres, tu y verrais peut-être mieux »… craquement encore…
« Ah ! c’est tes cheveux ! Tu voulais ton chignon ! Attends ! je vais te le faire ! »
Et tout doucement, avec dévotion, voilà notre MARIUS qui retourne le corps, de la brosse et du peigne qui coiffe, tresse, forme un chignon comme elle l’aimait toujours…
Ca lui a pris du temps, et, à chaque craquement, il disait : « Sois patiente ! Tu l’auras, ton chignon ! » C’est qu’il avait pas l’habitude, le MARIUS : il savait bien manier l’étrille, tresser la queue du cheval ou fleurir sa crinière au temps lointain où ils étaient heureux…Mais là ! Pour les cheveux de sa femme, il était tout emprunté…et puis, pour la dernière fois, il fallait pas rater…Alors, il s’appliquait, le MARIUS , il coiffait cent fois, doucement pour pas faire tirer, et puis il tressait, enroulait…
A force d’efforts, il a réussi à lui faire un chignon digne d’une épousée…
La première voiture, celle du voisin épicier, sur le parking a brusquement ronflé. Des bruits se sont levés, doucement, doucement : la voisine donnait la tétée au bébé…une chasse d’eau : le voisin du dessus qui est allé pisser…des pas dans l’escalier. L’immeuble en peu de temps s’est mis à remuer.Si l’armoire craquait, plus moyen d’écouter. La vie tout alentour manifestait ses droits.
La famille est venue dès le jour levé, il a fermé un instant ses paupières irritées des larmes qu’il ne voulait pas ,surtout pas laisser gicler…Un va-et-vient feutré dans la maison que les piaillements, les cris, les rires, et les pleurs poussés par ces sauvages qui ne respectent pas la mort viennent troubler…
Là-haut, dans la montagne, quand la mort avait frappé, c’est tout le quartier qui observait silence et qui se découvrait…on se connaissait tous, et même si on s’engueulait, quand il y avait un mort, tout le monde s’inclinait.
Le MARIUS a senti dans le remue-ménage combien sa solitude au milieu de la foule allait être pesante et dure à supporter…Pourtant, pas de secret, quand la porte est fermée, plus question de se retourner.
Quand le soir est venu, que les télévisions ont cessé de bramer dans les murs d’à côté, il s’est retrouvé, le MARIUS , encore confronté à la même amertume : là-haut, dans la montagne, pour passer la soirée, tous les voisins seraient ensemble rassemblés pour réciter en chœur la prière du soir et puis les litanies…et ce n’est que très tard, qu’il se serait trouvé avec quelques amis à veiller sa MARIE.
Peu à peu, le silence, les lumières éteintes, s’est installé dans l’appartement chaud…
Et l’armoire a craqué !
« Allons ! bon ! qu’é que t’as ? Tu voulais tes chaussures ? Pour aller jusqu’au ciel, il faut donc tant marcher ? »
Le MARIUS s’en va au fond du placard, là où il range les choses du dimanche. Il en sort une paire…non ! c’est pas les plus belles ! une autre, une troisième…hésite un moment… sort la brosse, le cirage, et vous les fait briller si bien qu’un miroir ne pourrait pas mieux faire.
Un moment de silence.
La main posée doucement sur la main glacée de sa compagne, comme pour lui donner confiance en l’avenir, il a laissé ses yeux que la fatigue de ces jours avaient changé en plomb se fermer un moment. Quand il s’est réveillé, le bruit avait monté : c’était le jour de l’enterrement…
Mais, le soir, au retour, dans l’appartement vide, il a voulu dormir… l’armoire craquait !
« J’ai pas su, ma MARIE, trouver ce qu’il fallait !…Il s’est mis à pleurer : elle pouvait plus le voir !
Il a bu un canon, un autre, et un troisième jusqu’à ce que le reproche de celle qu’il aime enfin se taise…
Et tous les soirs durant, c’était la même chose : l’alcool en pénétrant son esprit de coupable lui apportait l’oubli.
Il est mort, le MARIUS, un jour, sans prendre garde….
Son fils a remporté, dans la ferme ancestrale, l’armoire qui craquait dans la chambre inhumaine.
Il l’a replacée dans son vrai habitat, et le bois qui geignait de trop de sècheresse a cessé de craquer…
MAIS QUI SAIT SI PEUT-ETRE,DANS SON CRAQUEMENT,UNE AME, DOUCEMENT, NE SUSSURAIT PAS
VIENS ! ? ?
Cet article a été posté le Samedi 9 avril 2011
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