Les six déesses de LA TOUR SANS VENIN
Au temps de mon enfance, peu de livres trainaient sur les rayons des placards, mais il en est un qui m’a bien fait rêver: Les sept merveilles du DAUPHINE de M. Paul Barret. Voici ce qu’il m’a inspiré…
LES SIX DEESSES DE
LA TOUR SANS VENIN
A l’époque des ROMAINS, la déesse ISIS vint prendre ses quartiers d’été, suivie de ses cinq filles sur la butte qui domine GRENOBLE, au-dessus de SEYSSINS, en ce lieu où les archéologues mirent à jour les serpents d’airain de son autel et que l’on nomme depuis «
LA TOUR SANS VENIN » ISIS était suivie de tous ses adorateurs rampants.. Dès que les six déesses furent installées, si grande était leur beauté qu’il se produisit un énorme remue-ménage dans le pays : tout ce que le pays comptait de sexe mâle se mit à affluer à proximité du château. …Et chacun, pour leur plaire de surpasser les autres…qui chanterait le mieux, qui offrirait le plus beau bouquet ou le plus beau bijou…Mais la déesse était bien trop distante pour abaisser son regard sur les pauvres humains…aucun ne réussit à retenir plus d’un instant son attention.
Il y avait pourtant un homme, un sage, que la nouvelle de cette installation n’avait pas perturbé. Il était berger dans la vallée des ALLIERES, celle que les géographes appellent : « LE COLLET DU FURON. » Ses moutons avaient le piétin, il avait bien trop à faire à nettoyer le fumier de leurs pieds…et puis, qu’avait-il à faire d’une vacancière ? Et, en plus, une déesse ! il n’avait aucune, mais vraiment aucune chance de retenir son attention… pourquoi perdre son temps ?
Un jour que, lasse des flatteries dont elle était l’objet, la déesse flottait dans le ciel comme une étoile, elle se posa un instant près de la source de FONT FROIDE pour se désaltérer et pour se reposer. Toute la montagne alentour en resplendit de joie. Le berger que rien ne pouvait trop étonner la vit s’approcher sans crainte et sans émoi.
ISIS, très surprise de n’être point ici adulée comme à l’habitude regarda de plus près cet humain un peu fou…QUOI ! !Un simple berger qui snoberait sa vue ! ! !Elle décida aussitôt de punir son audace. Elle s’approcha très près ….le berger qui grattait le pied enflé d’un agneau leva un instant la tête et se remit à sa besogne. ISIS exhala son plus doux parfum….de quoi rendre amoureux n’importe quel prince…le rustre n’avait que l’odeur du fumier dans les narines. Elle le frôla tout doucement….RIEN ! ! !Alors, et sans pudeur, elle se mit à le caresser…..Le berger bien que sage, n’était pas un tronc d’arbre, il sentit monter au fond de ses veines un émoi indescriptible…La belle l’aguichait, le frôlait, le baisait….finalement, d’un geste, il l’enlaça. ISIS se blottit…
Juste avant le moment de l’extase, elle s’enfuit soudain…. « J’ai, dit-elle, des choses à régler à
LA TOUR SANS VENIN…attends-moi sur la roche, tu me verras venir, je reviendrai bientôt »
Chaque jour, à l’aurore , le berger vint au bord de la falaise et ne se souciait plus de moutons ni d’agneaux. La faim même ne le tenaillait plus :VOYONS ! il attendait une DEESSE ! !
L’attente, chaque jour, ça nourrit son bonhomme !
Au bout d’une semaine d’attente infructueuse, il pensa soudain que peut-être, elle viendrait dans la nuit comme une ombre afin de n’éveiller aucun soupçon de la part des humains qui se montrent si méchants à l’égard de l’amour….Son attente diurne se fit aussi nocturne. …Il se planta au bord de la falaise…l’eau, la pluie, le vent, le gel, la neige peu à peu l’entourèrent et le figèrent….et c’est ainsi qu’on peut, encore de nos jours, voir le berger debout sur la roche qui domine LES BLANCS attendant, mais en vain, pour les siècles des siècles le retour promis de la déesse ISIS.
Ses filles, non moins belles, étaient beaucoup moins puissantes. Elles n’avaient le droit, filles de déesse que de formuler des vœux….parfois exaucés.
Les trois aînées étaient très prudes. Elles gardaient soigneusement à l’abri de tout assaut leur hymen sacré….
Hélas ! à ST NIZIER, vivait un horrible sire violent , buveur, paillard qui ne pouvait supporter qu’on lui résistât. Il vint près de la tour où vivaient les donzelles comme humble citoyen pour leur faire la cour (pouvait-il se conduire avec des déesses comme avec des esclaves ?) Il tenta par tous les moyens de les faire succomber… mais jamais ni l’une, ni l’autre, ni la troisième n’accepta de céder à ses troubles avances. Il tenta le charme. Il tenta la douceur. Il leur fit des présents : il leur offrit des fleurs….les belles souriaient, s’amusaient du manège mais jamais, non jamais, elles ne se laissaient prendre…..Alors, subitement, il comprit que jamais il n’arriverait à ses fins. La colère le prit :il allait leur montrer de quoi il était capable ! ELLES ETAIENT SUR SES TERRES, ELLES LUI DEVAIENT CUISSAGE ! ! !
Sellant son cheval, il les poursuivit dans la montagne de cà, de là, et finit par les acculer au bord d’une falaise d’où elles ne pourraient sauter. Filles de déesse, elles étaient humaines, mais en joignant leurs mains en commune prière, elles pouvaient au moins faire un vœu exaucé…Alors que plus rien ne pouvait les sauver, que le monstre écumant de désir de luxure apparaissait tout près, elles firent le vœu d’être changées en pierre…Elles sont toujours là , avec leur tortionnaire et vous pouvez les voir non loin de ST NIZIER…les humains les appellent « LES TROIS PUCELLES » ….(merveille du DAUPHINE)
La quatrième était une grande amoureuse. Dans la plaine de VIF, elle rencontra un jour un seigneur aussi beau que les cieux. Elle rêva depuis, uniquement de lui.
LA PAUVRE ! L’objet de son amour était inaccessible….Nul ne savait bien quels étaient ses mœurs, mais les femmes ne l’intéressaient pas…
Elle erra longtemps près du château de son idole pour tenter de l’apercevoir, de l’approcher, de l’émouvoir…Elle ne rentrait plus, le soir, à
LA TOUR SANS VENIN, elle s’abritait dans une grotte. Des larmes, chaque jour coulaient abondamment et le feu des entrailles dont elle était victime ne faisait qu’amplifier. JAMAIS ! non JAMAIS ! son bel amour ne vint sécher ses larmes ni éteindre les flammes qui la dévoraient…
Et les GRENOBLOIS prirent l’habitude, le dimanche, de venir contempler ce feu un peu sacré. Certains impertinents même y cuisaient l’omelette en baignant leurs pieds dans le ruisseau de larmes…..Et on parle depuis de
LA FONTAINE ARDENTE. (merveille du DAUPHINE)
La dernière et la plus fine se promit que jamais ne lui arriveraient ni les désagréments de ses prudes aînées, ni la douleur brûlante d’amour inassouvi. Elle décida, quoi qu’il puisse arriver, d’être , le jour venu, engrossée par l’objet de son amour. Ce jour vint : elle rencontra un baron aussi beau qu’un dieu. Aussitôt, elle chercha un moyen de lui plaire….mais le baron était aussi froid qu’un glaçon….rien ne pouvait l’émouvoir ! Il fuyait entre ses mains dès qu’elle croyait le prendre .
La petite vint, à genoux vers sa mère, lui demander d’exaucer son vœu le plus cher…ISIS réfléchit un long moment, puis, se tournant vers sa fille, elle dit : « Cette décision ne doit pas être prise à la légère, réfléchis pendant un hiver et dans six mois, si tu es toujours dans les mêmes dispositions, je verrai ce que je peux faire »
……Six mois plus tard, la petite revint :
« Es-tu sûre de vouloir qu’il t’engrosse ? redemanda la mère.
_Quoi qu’il puisse m’en coûter » répondit la petite ISERE avec ferveur.
Alors ISIS leva sa main divine…Le glacé baron du DRAC en torrent fut changé…et la petite ISERE au fond de la vallée, en petite rivière se mit à couler à sa rencontre.
Quoi que fisse le DRAC , il ne put s’empêcher de venir se jeter dans les bras de la fille et de gonfler son ventre pour une éternité.
Depuis, le croirez-vous? je rencontre des déesses à tout bout de chemin…