Il y a très longtemps, près de ST SYMPHORIEN D’OZON, s’étendait une immense forêt dans laquelle les écureuils sautant de branche en branche pouvaient rejoindre sans jamais descendre au sol la ville gallo-romaine de VIENNE depuis les bords du RHONE vers VAULX EN VELIN. Cette forêt s’appelait la forêt de Velin. Elle appartenait au comte de Savoie qui tenait à ce que personne ne vienne y piller le bois, même pas le bois mort comme il était coutume d’en autoriser le ramassage dans les fiefs de France. Dans les clairières de cette forêt, s’étaient établis des villages de paysans dont les animaux étaient autorisés, moyennant un droit de pâquerrage payé au seigneur à pénétrer dans le sous-bois pour brouter. Les bêtes empêchaient les ronces et les broussailles de gêner la croissance des arbres.
Mais les bêtes, comme les hommes se gardaient bien de s’aventurer trop loin sous le couvert…
Souvent quelque paysan égaré rentrait au village, les yeux hagards, terrifié et n’osant qu’à peine parler de ce qu’il avait vu….
Qu’est-ce qui pouvait bien les terroriser ainsi ?
Un jour que le froid et la misère avaient poussé un pauvre serf à ramasser quelque bois mort pour chauffer sa chaumière, il fut dérangé dans son travail par l’intervention d’un être horrible : il marchait sur deux pattes comme un homme, mais son corps était recouvert de poils semblables à ceux des baudets, ses bras se terminaient par des ongles plus longs que griffes de grizzly…quant à sa tête, elle s’allongeait en un museau pourvu de dents démesurées. Son haleine fétide empuait l’atmosphère à la ronde.
Le pauvre homme, devant cette apparition, sentit son cœur s’arrêter de battre…et lorsqu’on le retrouva trois semaines plus tard, à moitié dévoré par les bêtes féroces, c’est à peine si on put le reconnaître grâce à un morceau de braye déchiqueté abandonné là par les prédateurs.
Tout le monde, dès lors sut que c’était l’œuvre du loup-garou. Tous ceux qui s’étaient autrefois sauvés à toutes jambes en l’apercevant se mirent à raconter des histoires. Au fur et à mesure de leurs narrations, l’animal grandissait : il devenait gros comme trois chevaux, ses dents étaient de véritables sabres, ses griffes , des épées…
Longtemps, la terreur interdit à quiconque de s’aventurer seul dans le bois, et, même en groupes, armés de haches, les hommes ne restaient pas sous le couvert après la tombée de la nuit.
Cette année-là, l’hiver fut tellement rigoureux que l’eau gela dans les bassins si fort qu’on avait peine à trouver du liquide sous la glace. Les hommes préféraient rester au chaud plutôt que d’alimenter la glacière (pourtant précieuse l’été pour conserver les aliments).Les humains se blottissaient dans l’étable des vaches. Pour faire cuire les glands et les châtaignes dont la plupart se nourrissaient, il fallait allumer le feu, mais les provisions de bouses de vaches séchées étaient depuis longtemps épuisées que le froid sévissait toujours…
Or, dans un petit village appelé Mions, vivait un couple de paysans. Lui, tout petit, malingre et souffreteux, et elle, une énorme matrone capable de maîtriser d’une seule main le taureau le plus violent.
Quand le besoin s’en fit sentir, et sans prêter attention aux histoires de loups-garous et autres diableries rapportées par ces couards que sont les hommes, notre paysanne s’en fut, une serpe à la main, dans la forêt de VELIN pour y quérir du bois… car qu’importaient les interdictions du Comte de SAVOIE :il était bien trop loin, et bien trop frileux pour se soucier de si peu de chose…
D’abord, tout alla bien : elle était absorbée par sa tâche. Elle coupait avec ardeur du bois pour le mettre en fagots. Tout à coup, elle sentit une odeur désagréable…mais elle que l’odeur de trois boucs ne dérangeait pas n’allait pas s’inquiéter pour si peu !…Elle entendit , tout près, des branches qui craquaient
…Une bête était là ! …Que lui importaient les interdictions de chasser du Comte de SAVOIE !… Qu’en saurait-il ? …Elle se mit aussitôt à l’affût derrière les buissons… la bête approchait…Elle retint sa respiration, serrant très fort sa serpe, prête à bondir…
Elle aperçut soudain quelques poils gris…
La serpe levée, elle bondit ….C’était le loup-garou !!
En l’apercevant, elle eut le temps de penser qu’il était bien plus petit que ce que les gens racontaient…Il était vraiment hideux, et il puait comme mille putois.
Avant d’avoir seulement pu réfléchir à ce qu’elle pouvait faire, elle posa sa main large comme un battoir sur le museau froid de l’animal et asséna un grand coup de serpe sur son cou.
La serpe rebondit avec un bruit de cloche en jetant des étincelles !
Sans se démonter, elle frappa une deuxième fois, sur le dos et une fois encore, sur le train arrière de la bête dont le sang se mit à couler dans la neige et qui s’échappa en hurlant dans un fracas atroce…
Après cette bataille qui aurait apeuré plus d’un valeureux chevalier, notre paysanne que l’émoi ne tracassait pas vraiment se mit en tête de poursuivre le monstre…. Ainsi, ces fainéants de maris ne pourraient plus en prendre prétexte pour rester à boire au lieu d’aller travailler !
Au lieu de ramasser en hâte son fardeau de combustible (qui pouvait lui valoir une volée de bois vert si elle était surprise) la voilà qui suit les traces dans la neige !
Tout d’abord, la piste s’enfonçait au creux de la forêt, dans des fourrés quasi impénétrables, mais rien ne pouvait l’arrêter.
Au bout de quelque distance, elle constata que la piste s’infléchissait. Par un large arc de cercle, elle revenait sur le sentier du hameau. »Enfin, pensait-elle, je vais débarrasser le village de cette malédiction !
A un moment, elle s’aperçut que les traces changeaient de forme. Elle s’approcha d’un vieux chêne entre les racines duquel elle croyait discerner des poils gris….
De la pointe de sa serpe, elle fouilla la cavité…Tira brutalement… et ramena à ses pieds un morceau de peau de bête grise, pelée par endroits, maculée de sang. Elle poursuivit sa quête en suivant les taches rouges qui devenaient plus rares… La piste traversait le village ! Une goutte sur le parvis de l’église…une goutte devant la porte de son voisin… et…sur sa propre porte, des traînées sanguinolentes.
LE LOUP-GAROU CONNAISSAIT SA DEMEURE ET L’ATTENDAIT CHEZ ELLE !!!
Elle entra doucement, la serpe brandie, ne vit…rien tout d’abord…La demeure était silencieuse…Elle approcha du lit où comme d’habitude, devait dormir son mari…Elle sentit un corps aussi glacé que cadavre. Frottant fébrilement l’amadou, elle parvint à allumer une chandelle de suif et s’approcha…ET LA !!!
Elle qui n’avait jamais eu peur de sa vie, elle qui se moquait de ces couards d’hommes, elle faillit s’évanouir de stupeur à la vue qui s’offrait à elle !
Inerte sur le lit, tenant dans sa main la mâchoire d’étalon qui avait terrorisé les paysans crédules, le dos et les fesses entaillées par la serpe, gisait…son mari !
On prétend que depuis, même dans les nuits d’hiver, jamais plus les paysans n’ont croisé de loup-garou dans la forêt de VELIN.
MAIS
Quelques temps plus tard, MONSIEUR LE COMTE DE SAVOIE, passant par le village, fit appeler le mari à peine guéri de ses blessures et le fouetta sévèrement en public parce que, je cite : « IL NE PORTAIT PAS
LA CULOTTE CHEZ LUI ! »
Cet article a été posté le Lundi 21 mars 2011