Un jour de mars 1964, alors que j’étais élève-maître, je fus envoyé en remplacement
dans une classe de CM1.Quartier bourgeois de Grenoble…
Garçons uniquement comme cela se faisait à l’époque.
Cela se décida vers midi, juste le temps d’échanger qq mots avec le camarade
qui déclarait forfait après 2jours et demi…
Cette classe, nous la « connaissions »… enfin… par stage
avec le Maître dit « d’application » dont les méthodes à l’ancienne faisaient trembler les garçons.
Il était courant, avant d’entrer, que l’inspection des cartables donne déjà lieu à des calottes…
La liste des punitions, fort longue, avait pour soutien
des pages toutes découpées juste à la bonne dimension.
Nous n’en gardions, ni l’un ni l’autre, aucun mauvais souvenir…
Pourtant, il « n’en pouvait plus »…
Légèrement en retard, vu l’éloignement de l’Ecole Normale,
je trouvai trente-quatre garçons déjà assis dans la classe,
qui hurlèrent en me voyant « dehors! » en tapant sur les tables.
Quand le calme fut un peu tombé, je constatai, impuissant,
qu’ils déchiraient leurs cahiers pour me les jeter en boulettes.
Dès que j’essayais de parler, ils répétaient mes paroles en chœur…
Ce fut une atroce journée.
Je n’osai même pas sortir dans la cour.
Au soir, je me mis sur l’entrée, et je demandai à Breyton
(le terrible face au maître mais aujourd’hui le moins pire)
d’aller chercher des poubelles. Personne ne sortit tant qu’il resta une boulette.
Les parents vinrent chercher leur progéniture. Un seul père me désavoua.
Le vendredi je retrouvai la classe prête à travailler: les parents avaient joué leur rôle.
Un seul enfant fut insupportable.
De ce cauchemar qui a marqué toute ma vie les changements de classe,
j’ai tiré la leçon: « Ne pas imaginer que les débordements du premier contact
sont faits pour vous agresser: ils sont simplement le défoulement
des frustrations ressenties avec le maître titulaire.
Quant aux réactions des parents, elles sont dictées par de vieux réflexes, ou de rancunes parfois ».
Je tiens à raconter cette histoire suite à la polémique concernant une instit
propulsée pour la première fois dans une classe,
qui aurait « frappé et humilié un enfant de huit ans »…
Je garderai pour moi le jugement que je porte sur la collègue chevronnée,
qui, au lieu d’intervenir pour éviter la bêtise, a préféré faire des clichés de la situation.