Dans la cour de ma ferme natale trône un bassin de grand contenance. Il est formé de larges dalles de pierre, hautes de sept décimètres, épaisses d’une dizaine de centimètres. Presque trois mètres de long, plus d’un mètre de large, alimenté par un triomphe, bloc de calcaire de 40 centimètres de côté et de deux mètres de haut.
Sur ce triomphe, au milieu d’une forme d’écusson figurent deux lettres majuscules : F. J. : François Jallifier était le père de mon arrière-grand-père. Ce bassin lui fut offert par son beau-père, acquéreur de la bâtisse ( une étable, une grange et, à l’écart, une habitation ruinée par le feu).
Le feu, à cette époque, avec des toits de chaume (paille de seigle récoltée dans la ferme) était une malédiction.
Pour installer son gendre, ce Joseph Pollicand avait construit contre l’étable deux pièces d’habitation (le lieu où je suis né) et commandé à un artisan d’ Autrans, c’est là que la pierre est la plus compacte, ce grand bassin abreuvoir.
Pour l’amener à bon port sur des traîneaux, en plein hiver, il avait fallu neuf paires de vaches, de ces bonnes vaches de Villard de Lans, aussi fortes que des bœufs…
Je sais cela de mon arrière grand-père, vieillard sec et vigoureux, qui nous emmenait en montagne pour nous conter la vie d’autrefois.
Quand la ferme fonctionnait, les génisses ouvraient la voie pour y accéder le matin alors que l’épaisseur de neige montait jusqu’au ras des fenêtres. Plus tard, après l’exode rural, un hiver bien neigeux, un de mes fils passant par là _ il devait avoir trois ans _ tout affolé nous déclara « je crois qu’on a volé le bassin » . C’est ce que j’aurais pu dire hier : il est sous un mètre de neige.
Jusqu’aux années1960 ce bassin fut la seule alimentation en eau de la maison. Sur un coin en permanence était posée la planche à laver. Vous comprendrez que les lavages, surtout l’hiver, dans la neige étaient réduits à l’absolu indispensable.