Il y avait autrefois, pour traverser l’Isère
Un petit pont de bois, tablier suspendu,
Qui ne permettait pas de franchir la rivière
A plus d’un véhicule : le premier rendu
Permettait au second d’avancer à son tour.
Pendant des décennies tout alla sans encombre
Le premier arrivé s’engageait sans détour
A l’autre bout du pont, même en cas de pénombre,
L’autre s’arrêtait, patientant un moment :
Plutôt que de risquer un plongeon dans le vide
Mieux valait gaspiller un tout petit instant.
Peut-être que le pont était assez solide
Pour supporter le poids de deux en même temps
Mais la largeur étroite du sol à claire-voie
Interdisait c’est sûr le moindre croisement.
Sauf que ce matin-là, arrivant à la fois,
Avec sa « deux cent un », le vieux père Machin
Et en face en « vedette » le gendre de son voisin
« Crédiou ! dit le vieux j’ai priorité d’âge ! »
L’autre, peut-être, avait, d’avance nano seconde…
Ils parcoururent donc chacun, le mi-voyage
Pour stopper nez à nez tout au-dessus de l’onde.
Là, quelques noms d’oiseaux, en vigueur, échangèrent :
« A vous de reculer, moi, j’étais le premier !
_ Arrête ! Ca suffit je pourrais être ton père !
T’es jeune, allez recule, j’étais pas le dernier.
_ Ah ! Je n’en ferai rien : pour vous y a que dix mètres !
_ Bon ! Tu n’en feras rien ? C’est ce que l’on va voir ! »
Et le vieux remontant dans son tacot ancêtre
Recula quelque peu, il fallait le prévoir,
Mais passant la première et moteur emballé
Vint jeter le carrosse à rutilante peinture
En travers du plancher plutôt brinqueballé
Pour se trouver aussi en bien triste posture.
Il fallut la journée avec treuils et grues
Pour la voie dégager, avant réparation
(Non des deux épaves, mais du pauvre pont)
Voilà donc à quoi mène la bêtise incongrue.
- NOTE : le pont abandonné aujourd’hui figure dans :
- Base de données internationale du patrimoine du génie civil
- Voir : structurae.info/ouvrages/pont-suspendu-de-trellins