Depuis que PIERRE CHABERT était devenu « le roi du soufre »,on voyait arriver plein d’étrangers dans le pays.
La GERMAINE avait ainsi rencontré un beau garçon avec de belles moustaches. Son métier ? Dentiste.
LE JULES, son père était bien fâché : « Qu’est-ce que tu vas écouter cet arracheur de dents ? C’est menteur et compagnie ! Et la ferme,qui c’est qui va la reprendre, hein ?qui c’est ? »
Mais,
la GERMAINE voulait rien entendre,et le jour de sa majorité, elle était partie.
La GERMAINE avait épousé un garçon de la ville, et de quelle ville ? De LILLE un endroit qu’on sait même pas où c’est !
Elle habitait paraît-il dans un bel appartement avec tout ce qu’il fallait.Pensez donc ! Y avait même, à ce qu’elle disait, une salle rien que pour se laver !
Au début,elle revenait de temps en temps, l’été, quand les foins étaient finis et que les moissons n’avaient pas commencé,mais, plus le temps passait, plus elle trouvait désagréable de ne pas pouvoir garder une robe propre :y avait toujours un éclat de bouse pour venir la tacher. Et puis,les vaches ou les chèvres venaient lui lècher les mains, et elle n’aimait pas ça ,
la GERMAINE.Et puis ses souliers de la ville, bien vernis supportaient mal la boue de la cour les jours de pluie.Et puis, cette odeur de fumier qui règnait un peu partout,cette senteur de lait un peu aigre , ça lui donnait des nausées à
la GERMAINE. Et puis, voilà-t-il pas que sa mère avait trouvé que, puisqu’elle était là, elles allaient faire la bue !
Aller remuer des draps salis depuis des mois au fond du cuvier, ça, elle s’attendait pas à ça,
la GERMAINE et elle le leur avait dit sans détour : elle était de la ville maintenant,et ce genre de travaux,c’était plus pour elle.
Alors, le JULES, son père, qui avait bien pleuré déjà, quand elle était partie, a senti monter en lui cette grande colère qui traduit le désespoir.
« Ecoute, GERMAINE,si on est plus assez bien pour toi, retournes-y donc dans ta ville, et reste-z-y.Au moins tu nous enlèveras pas le peu de courage qui nous reste maintenant qu’on vieillit »
La GERMAINE était repartie dans sa ville, profiter des concerts, des grands airs d’opéra et des scènes de théâtre.
Les vieux sont restés doucement à la ferme, tout doux,ils gardaient encore deux vaches et quelques poules, un cochon et quelques lapins, une chèvre pour s’occuper, et la vie s’écoulait lentement dans le triste silence des maisons désertées.
Pas de radio, de ce temps-là, pas de journaux qu’ils n’auraient pas eu envie de lire.Quelques nouvelles du village, de temps en temps, par celui qui passait en montant au bois ,ou qui revenait des morilles.
Ils ont entendu, le JULES et l’ADELE, le tocsin, et ils ont su que la guerre était revenue…
La guerre ! qu’est-ce qu’elle pouvait bien leur faire ? Ils avaient juste l’indispensable. Ils ont su que, maintenant, tout était rationné…mais, que voulez-vous ? y avait longtemps que leur vie n’était pas plus brillante.
C’est un matin, sur le coup de dix heures, que le facteur est arrivé.Le FACTEUR ! Ils ont commencé à trembler ! C’était qu’il y avait eu un malheur ! Mais qui ça pouvait être ? Ils n’avaient plus de famille que
la GERMAINE et
la GERMAINE….Elle était quand même pas morte ! Ca se fait pas de mourir avant ses parents !
« BOIS UN CANON ! FACTEUR ! C’EST PAS SOUVENT QU’ON TE VOIT PAR ICI !Qu’est-ce qui t’arrive ?
_J’ai une lettre pour vous.
_Une lettre ! !Ils avaient crié tous les deux ensemble.Mais on ne reçoit jamais de lettre, ça serait-y- pas une tracasserie ?Lis-la nous, facteur, nous, on n’y voit plus bien et puis, depuis le temps…
_C’est signé GERMAINE. Elle dit qu’elle va venir parce que, à la ville, la guerre a tout détruit.
_
La GERMAINE !
La GERMAINE QUI REVIENT ! Ils ont senti, les vieux, leur vieux cœur qui battait.
L’ADELE a nettoyé à grands coups de balai la cuisine encombrée peu à peu dans l’à quoi bon des jours de solitude. Le JULES a tué un lapin ….
Quand ils ont eu bien remué ciel et terre pour rendre la maison accueillante autant qu’ils le pouvaient, ils se sont assis, et ils ont attendu, attendu de voir au tournant du chemin
la GERMAINE arriver….et la fatigue aidant, ils se sont endormis.
Quand
la GERMAINE est arrivée, ils dormaient tous les deux.
La PARISE attendait qu’on soulage sa mamelle…
Alors, malgré sa robe de la ville, et ses souliers vernis,
la GERMAINE a traversé le terret plein de fumier pour aborder la bête dont la queue pleine de bouse s’agitait en tous sens et a retrouvé sans hésiter les gestes de son enfance pour la traire dans le seau de fer blanc qui n’avait pas changé !