L’estropié énigmatique

                   L’ESTROPIE ENIGMATIQUE 

  

« Sauve-toi en vitesse ! vilain fruit de roture ! » dit le DUC en colère au laid estropié qui avait osé, se glissant vers son trône, solliciter la  main de sa fille ainée. 

« Va-t-en ! Va-t-en te dis-je ! Avant que mes valets ne te pendent à un arbre ou te jettent à mes chiens ! 

En traînant avec grande souffrance une jambe raidie par on ne sait quel mal, le drôle s’en alla au travers du pays. 

« Va-t-en et plus vite que ça ! dit le marchand cossu, ma fille épousera un riche négociant et ne compte jamais sur  elle lever l’œil, ou mon fouet frappera sur ta vile carcasse. » 

Et le pauvre s’en fut.  

« File ! et en vitesse ! au-delà de ma vue ! » dit le gros paysan qui déliait ses vaches. Ma fille épousera un homme qui en soit un ! avec des bras, des jambes, qui sache travailler. File ou mes mâtins goûteront à tes fesses. » 

« Va-t-en, dit le maçon, file, dit l’ouvrier… nos filles sont trop belles pour un estropié. 

  

Par tout le pays, le roi a proclamé un édit  obligeant chacun à s’incliner à son tour à ses pieds. 

Le DUC d’abord arrive, coiffé d’un grand plumet,suivi de serviteurs aux livrées brodées d’or. Le marchand le suit au bout d’un grand moment, sur son ventre rebondi, brille une montre sertie de rubis. Le paysan s’avance, endimanché, le maçon, l’ouvrier… 

« LE ROI ! » crie un huissier. 

Un fauteuil glisse et on aperçoit un visage connu de tous ces personnages. 

Le DUC, en pâlissant, met un genou en terre. 

« Tu seras, dit le roi, promu au haut rang dignitaire de porcher des soues royales et ta fille aura, en parti qu’elle mérite, le fainéant qui boit chaque jour ses dix litres ». 

Le marchand s’agenouille. 

« Qu’il soit, décrète le monarque, élevé à la dignité de videur de tinettes au château de ma mère. Sa fille épousera le soudard irascible qui en garde l’entrée ». 

Le paysan plie son dos jusqu’à terre. 

« Qu’il soit, décide le souverain, mis en épouvantail au milieu du jardin. Sa fille épousera le benêt qui boitille ». 

Le maçon à son tour rampe devant le roi. 

« Attaché à distraire le gorille royal qui vraiment trop s’ennuie !…et livrez-lui sa fille ! » 

L’ouvrier a compris en voyant le visage que l’estropié d’hier était roi aujourd’hui.  

« Mes filles sont à vous, grand monarque, autant qu’il vous plaira » 

« Ton courage t’honore déclare alors le roi. Tu auras l’insigne privilège de servir de pâtée à mes cochons fidèles. Tes filles en esclaves au despote voisin livrées, j’aurai de vos insultes ainsi pu me venger ».. 

Et débouclant soudain la jambière de cuir qui raidissait sa jambe comme morceau de bois, il tendit sa main gantée de dorures vers la noble putain qui l’avait respecté, lui avait, sans rechigner, prodigué son amour et l’invita à danser. 

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