LA DAME A
LA VOILETTE
La petite fille courait à la poursuite de la libellule. Sa robe rose à volants se soulevait à chaque saut pour tenter de capturer le grand insecte convoité, qui semblait l’attendre avant de repartir soudainement quelques pas plus loin…ici…là…encore plus loin. Et c’est ainsi que de brin d’herbe en touffe de carex, PLOUF ! la petite plongea dans la mare boueuse dont le fond commença à l’engloutir.Elle tenta en vain de se débattre, mais la fange noirâtre obstruait ses yeux et ses narines…quand elle se sentit soudain tirée doucement vers la surface. Une dame était là, curieusement habillée d’une robe à fleurs noires, avec un chapeau à voilette, qui la déposait doucement sur le sol ferme et ôtait le plus gros des dépôts nauséabonds de son visage et de ses cheveux.
« Où es-tu LILA ?cria la mère.
_Maman ! répondit l’enfant. La génitrice accourut, constata les dégâts…maman, elle est gentille, la dame, elle m’a tirée de l’eau, moi je n’arrivais pas à sortir, je n’y voyais plus rien, et puis elle est arrivée ».
La mère regarda alentour : il n’y avait personne, à part l’école et la maison inhabitée qui se trouvait derrière, le vide était complet.
« Quelle dame, LILA ? Il n’y a personne !
_Si, maman , une dame un peu comme mémée avec un chapeau et puis un rideau devant la figure !Elle m’a aidée, je te dis !
_Ecoute, LILA, je t’assure qu’il n’y a personne. Es-tu sûre que tu as vu quelqu’un ? Aurais-tu de la fièvre ? »Elle tâta le front brûlant et aussitôt s’inquiéta.
Le médecin, mandé d’urgence rassura la mère, administra un sédatif à l’enfant…et tout le monde sut qu’il s’agissait d’une hallucination due à la fièvre provoquée par le plongeon dans l’eau glacée .
Quelques mois plus tard, ce fut un garçon qui parla de la dame en noir.
Il avait, raconta-t-il à son institutrice, grimpé au sommet du pommier sauvage.La branche s’était cassée.Il était tombé….mais…une dame en noir avec un chapeau bizarre l’avait rattrapé juste au moment où il allait se fracasser sur le mur…
L’institutrice se demanda bien qui pouvait être cette dame…elle chercha dans son esprit qui pouvait porter un chapeau curieux avec une robe noire…elle ne voyait pas !Pourtant,l’enfant lui montra d’où il était tombé, et choir d’aussi haut sans blessure…alors, elle alerta les pompiers qui transportèrent le gamin sûrement victime d’un traumatisme qui le faisait déraisonner, à l’hôpital…
Mais, à l’hôpital, on ne décela nulle blessure…Aux alentours de sept ans, les enfants sont parfois mythomanes…Elle l’exhorta, une autre fois à dire la vérité vraie.
Quand juillet arriva, avec la transhumance des colonies de vacances, tous les prés retentirent des jeux des enfants des villes, inconscients des pièges de la campagne.
Il advint que l’un d’eux, plus téméraire que les autres, avisa le taureau au museau annelé qui paissait dans le parc au milieu de la vallée.
Faussant subrepticement compagnie à son moniteur et à ses camarades, il se glissa dans l’enclos…Le taureau plissa la joue et le fixa de côté. L’enfant avança. Le pied du taureau se mit à gratter la terre. L’enfant, par un contournement cherchait à le saisir par les cornes. Le taureau bandait ses muscles, prêt à charger quand la dame apparut, un aiguillon en main et obligea l’animal à s’écarter pendant qu’elle entraînait l’enfant vers le chemin.
La clôture était à peine franchie que le « mono » et son groupe revenaient…La dame s’était volatilisée…L’enfant passa aux yeux de ses copains pour un sacré blagueur :une dame en noir avec un chapeau ?On ne voyait personne à l’horizon !Il eut beau dessiner le portrait de la dame, personne ne le crut : elle était si curieusement habillée !
Un après-midi d’hiver, le vent s’était soudain réveillé en tempête. Trois enfants qui revenaient de l’école s’étaient complètement égarés hors de la route que personne ne distinguait et tournaient en rond dans le pré de « MONCHILLON » sans jamais progresser en direction des FRANCONS. Tout à coup,dans la « cire »,* ils distinguèrent une dame en noir au chapeau à voilette qui leur donna la main et les ramena sur le chemin…Nul ne voulut croire à leur histoire :la tombée de la nuit, la tempête, avaient dû dessiner des ombres…et puis, un chapeau à voilette dans le vent ! ! !…Pourtant, ils dessinèrent tous le même portrait ….Elucubrations d’enfants.
C’est alors qu’ils allaient visiter la « maison du patrimoine » avec leur maîtresse, que les enfants reconnurent sur une vieille photo la dame au chapeau. Sachant bien que personne ne les croyait, ils questionnèrent le conservateur : qui était cette dame qu’ils avaient cru voir dans la tempête, ?
Qui ? difficile à savoir ! Ces photos venaient de la collection du photographe du village voisin : le leur !LANS !…Il chercha…et ce qu’il trouva fit dresser ses cheveux sur son cerveau rationaliste.
La dame dont parlaient les enfants et qui leur était soi-disant apparue avait rendu brutalement l’âme depuis plus de cinquante ans.Le drame de sa vie, elle qui adorait les enfants, avait été de rester stérile, d’où, avec son mari, ils avaient sombré dans cette drogue qui, à l’époque inspirait plus d’indulgence que de condamnation….jusqu’au soir d’ivresse plus grave que les autres où son époux avait confondu sa cuisse avec un jambon…
Condamnée à errer autour de sa maison, avait-elle choisi de venir en aide aux enfants en détresse? ? ?
*neige projetée par le vent
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