« J’aime pas ma maîtresse, c’est une sorcière ! criait PICOU. Elle a des grosses fesses, une bouche en soupière. Son nez est crochu comme un bec . Ses yeux lancent des éclairs, sa baguette fait que siffler dans l’air. »
Pendant qu’elle parlait, un vieux monsieur la regardait en remontant ses lunettes pour mieux voir la fillette.
La maman de PICOU voulait calmer sa fille en lui disant des choses gentilles.
« C’est une sorcière ! criait encore PICOU : elle a des crapauds sous la peau de son cou ! Elle crache ses mots en hurlant comme un loup. Elle sent la sueur et le mauvais ragoût ! »
Après qu’elle eût fini de proférer ses plaintes, le monsieur s’avança et prit dans ses mains jointes les deux mains potelées de l’enfant en colère. Il confia en secret à la petite oreille : « Ce soir, prends ton cartable, tes crayons ; devant la glace, tu devras loucher en répétant trois fois VARONTRON » Puis il disparut au coin de la rue. La maman n’avait rien entendu : le monsieur devait être un sorcier…..
Le soir, à la maison, PICOU ne pensait plus au vieux monsieur qu’elle avait entrevu, mais, en sortant de la salle de bains où elle venait de se doucher, alors que sa maman disait : « Va te coucher », ce souvenir lui revint.
Elle hésita un peu, puis saisit son cartable et ses crayons épars sur le coin de la table, se tourna en louchant vers le miroir installé pour coiffer ses poupées, et, en tremblant un peu comme pour une bêtise, elle répéta trois fois : « VARONTRON, VARONTRON, VARONTRON »
Elle sentit dans sa main de l’électricité et lâcha brusquement et cartable et crayons….
En entendant du bruit, maman vint aux nouvelles, mais PICOU n’osait pas avouer pourquoi elle avait laissé tomber sur le sol les objets…
« Ils sont tombés pendant que je rangeais. Je ramasse, dit-elle »
Et puis, elle se glissa sous la petite couette, la lumière baissa et commença la fête.
Le petit crayon gris qui se cassait sans cesse, la faisant chaque jour accuser de paresse, se dressa sous ses yeux un peu éberlués, dansa comme un ballet sur le coin de la table avant de s’approcher de son blanc oreiller, pour lui murmurer d’une voix aimable : » Demain je serai sage, on va bien travailler. »………Il retourna ensuite rejoindre ses copains pour chanter avec eux un très curieux refrain :
Varontron, varontron, varontron,
Nous sommes les crayons
Varontrou, varontrou, varontrou
Les crayons de PICOU.
Le crayon vert , se leva et se mit à dessiner des brins d’herbe.
La chambre aussitôt devint un champ où pâtres et pastourelles défilaient en chantant pendant que des moutons dormaient près des buissons.
Varontron, varontron, varontron
Dit le crayon marron
Mes œufs en chocolat
Sont très bons ! sont très bons !
Le champ soudain changea : il devint lieu de quête, où des enfants en fête cherchaient deci delà, dans chacun des recoins, ici tout près, très loin, de rondes friandises.
Le crayon violet, bien sûr toujours discret, se cacha pour semer de minuscules taches dans la haie…Et , de tous côtés, on vit surgir des fleurs très colorées, pendant que le plafond couvert de crayon bleu devint un ciel joyeux.
La trousse tout à coup, déversa des objets en folie. La colle que le compas avait percé, dégageait un parfum enivrant, pendant qu’elle formait une mer en coulant. Son tube aussitôt vogua au milieu des courants, son mât-compas dressé, sa voile de papier par tous les vents gonflés. Du scotch, les deux rouleaux se transformèrent en pédalo, cependant que bientôt on entendit les refrains de marins embarqués pour des pays lointains. Les ciseaux, à leur tour entrèrent dans la danse et jeunes valseurs groupés en ribambelles surgirent de leur lame et emplirent la plage de musique et de joie.
Soudain, la gomme survint, grande, fière, altière, et arracha d’un coup le décor éphèmère.
Le noir alors revint, égayé seulement par le chant des marins apporté par le vent.
Quand revint la lumière, au bout d’un long moment, on vit une sorcière debout sur un banc. Elle était enchaînée par des lianes enroulées….mais on voyait cependant à qui elle ressemblait. Mille petits lutins autour d’elle assemblés allumaient un grand feu. Ils dansaient à qui mieux-mieux au son d’une musique extrêmement bizarre.
Le premier se détacha et cria : « TU ES EN RETARD !» Il saisit un bâton, menaça la sorcière.
Le second s’avança et frappa son derrière……. Deux gros coussins en churent. Tous s’approchèrent et vinrent lui faire des reproches….
…Mais voilà que soudain, tous ensemble ils s’arrêtent : ils ont vu dans le coin, de dos la silhouette d’un monsieur qu’ils connaissent…et craignent sa colère.
« Monsieur le Directeur ! chuchotent les lutins…et l’on voit arriver, marchant à reculons, l’homme qui fait trembler tous les petits mutins.
D’un coup, il se retourne…IL A UN GROS NEZ ROUGE ! ! ! son costume, noir au dos, devant est arlequin et il ne gronde pas : il prend un air malin.
Il donne aux enfants, pour la ronde, la main… puis il va arracher le masque de sorcière dont l’immense bouche évoque la soupière et dont le nez en bec a tant terrorisé.
Commence alors pour tous, une danse endiablée.
La maîtresse est bien là, ah ! mais si différente ! belle et souriante… on ne peut que l’aimer.
Elle arbore un sourire qui réchauffe le cœur et les petits lutins s’asseyent de bon cœur
On va compter, dit –elle, maintenant jusqu’à vingt et après, vous verrez, ce sera le matin. »
Tous se mettent à compter….Au moment où PICOU relevant la tête du coussin, déclare d’un ton ferme après s’être étirée : « Aujourd’hui, c’est bien sûr, je vais bien travailler ! »