Mon salon, à moi, de l’agriculture (8) rayon boisson

Il y avait autrefois, dans la région de VIENNE, un homme fabuleusement riche. Il avait parcouru toutes les mers du monde,pillé mille contrées, coulé mille bateaux emmené avec lui des centaines d’esclaves.
Un jour fatigué par autant d’aventures,, il avait décidé de s’installer dans un endroit discret où ses ennemis ne pourraient pas le retrouver. Abandonnant son navire de corsaire, après avoir passé le détroit de GIBRALTAR, il s’était rendu maître en MEDITERRANEE de cent barques à fond plat, de mille cinq cents chevaux dans les plaines de CAMARGUE et de CRAU. Puis il avait remonté à contre-courant le RHONE pour chercher dans les lônes un lieu qui soit propice à son propre repos et à tous ses délices.
Son palais était digne des « mille et une nuits » :deux cents lustres de diamants pendaient des plafonds d’or.Des vitraux de rubis, d’émeraudes et de pierres précieuses éclairaient sa grand’salle. Il pensait vivre heureux. Ses esclaves soumises offraient à tous ses sens des extases exquises. Cependant, l’âge vint où il se rendit compte que pour lui succéder, il n’avait pas d’héritier. Rompant avec ses amours ancillaires, il décida un jour qu’il pourrait prendre femme. Il fit donc publier mille lieues à la ronde qu’il épouserait celle qui saurait faire surgir en lui une émotion que sa vieille expérience n’avait encore connue.
Aussitôt accoururent et ce, de tous côtés, de rapaces donzelles aux doux yeux de gazelles…Malgré tous leurs efforts, aucune ne convint. On fit venir pour lui des péripapéticiennes expertes dans les tours du plus humble au plus fou…Aucune n’arriva à étonner le maître dont l’exigence était bien au-delà de tout !…Vint le tour des bergères aux douces toisons de laine, au lait quelque peu cru et au fumet typé…aucune…aucune…aucune n’arriva à provoquer l’émoi !
Dans son coin, en silence, la très douce SARAH que le maître avait un jour arraché à son berceau observait les manœuvres et chaque manigance espérant en secret que, fatigué, enfin, le maître se réveille et reste sur son sein !
Mais voilà qu’au bout de dix ans de recherches aussi vaines qu’ardues, deux serviteurs trouvèrent et presque en même temps, une belle donzelle qui n’avait pas encore tenté auprès du maître d’obtenir la faveur. La première était née au nord de
la SUEDE.blond-paille, ses cheveux s’étalaient doucement sur ses épaules blanches, à la peau veloutée. Son corps était immense, et ses yeux de poupée brillaient d’intelligence. La deuxième était noire comme jais. Ses yeux sous ses paupières sans cesse étincelaient , ses formes étaient pleines comme grenades mûres et ses dents scintillaient comme autant de diamants.
Toutes deux arrivèrent au palais en même temps.
On leur dit qu’elles pouvaient faire ce qu’elles voulaient, pourvu qu’enfin le maître soit enfin satisfait.
Dédaignant l’une et l’autre, les armes de l’alcôve, chacune s’en alla sur les côteaux du RHONE, en recherche peut-être d’une idée inédite.
La première trouva sur le flanc d’une roche, une vigne pulpeuse aux grains ronds et dorés, et dont le goût exquis, aussitôt lui donna à penser qu’aucun vin jusque-là n’avait pu exister. La deuxième se frayant un passage dans les ronces, découvrit un lopin abandonné des dieux où pourtant malgré tout, en tendant haut les branches, un cep réussissait à porter une grappe. Le raisin était noir, aussi noir que la fille. Son jus en était âpre, mais laissait dans le fond du palais une onde de bonheur à qui l’avait goûté.
Toutes deux de descendre en courant, de mettre à fermenter en secret la cueillette afin de présenter au plus tôt au grand maître le breuvage inédit qu’il espèrait peut-être….et la douce SARAH dont nul ne se méfiait, regarda de très près ce que faisaient les belles…

Après que le breuvage fût enfin obtenu,on fit une fête de liesse populaire pour présenter au maître cet essai de lui plaire.Par le fond de la cuve, la blonde enfant tira dans un bol d’or un liquide doré comme soleil qui, par son seul parfum enivrait l’assistance…Par le haut du tonneau, la noire demoiselle retira un calice de liquide de sang que le diable lui-même s’il en eût absorbé en fût devenu bon et doux comme un enfant.
Les fifres et tambours se mirent de la fête. Chacun était certain qu’ayant goûté aux deux, au matin, le maître parlerait. Cependant que partout on entendait des chants, le maître s’enferma avec les demoiselles.
Il goûta en premier au breuvage doré, et d’une goutte seule se trouva enivré.
Il goûta ensuite au breuvage de sang…son sang ne fit qu’un tour :il était étonnant !
Cent fois,il se reprit, goûtant l’un et puis l’autre, sans jamais, non jamais pouvoir se décider…Il oublia ainsi de sonner les servantes pour changer les chandelles qui brillaient sur les murs…Une à une, les flammes s’éteignirent…le choix n’était pas fait !
Le noir tomba, complet.
C’est alors qu’en prenant un bol qu’on lui tendait, sans savoir dans le noir qui en était la mère, le maître eut l’EXTASE : celui qu’il attendait ! De sa main de pirate réveillée par l’alcool, il se saisit du bras qui l’avait tant comblé.
« DES LUMIERES ! cria-t-il MA FEMME EST DESIGNEE »
Et quand on alluma les cent mille chandelles de la chambre embaumée par le breuvage enchanté, le palais tout entier en resta bouche bée en voyant que le maître tenait en sa main droite, non la blonde cendrée des neiges suèdoises, ni la noire brûlée des déserts africains….mais la douce SARAH toujours si effacée.
Elle seule avait su, avec à propos , du reste des breuvages préparés par les autres créer un nectar inspiré par les dieux.
Magnanime, elle permit à ses deux concurrentes d’aller à tout jamais cultiver sur les pentes la vigne que chacune avait un jour trouvée.
C’est ainsi, messieurs-dames, qu’encore de nos jours, sur les flancs des côteaux, vers AMPUIS, près de VIENNE alternent des raisins dorés ou bien vermeils qui donnent au palais l’impression de merveille :
C’EST
LA COTE ROTIE ! ! ! !

Laisser un commentaire