Mon salon, à moi, de l’agriculture (7) rayon fromage

Je vous parle d’un temps que les très vieilles gens même n’ont pas connu….Un temps où les sources jaillissaient librement pour désaltérer le promeneur assoiffé : pas de plombier, pas de fontainier, pas de syndicat des eaux….Un temps où les arbres croîssaient en liberté dans des forêts immenses que ne venaient détériorer ni des chemins, ni des pistes de ski, ni des routes forestières, où on n’avait pas encore inventé les gardes forestiers.Un temps où les animaux avaient le droit de parler, les hommes savaient les comprendre….Un temps où les humains n’étaient jamais malades : on ne connaissait ni les médecins, ni les pharmaciens, ni les médicaments…Un temps où les voleurs n’existaient pas : on n’avait pas encore inventé la police…Un temps où le travail était source de joie : on n’avait pas encore inventé les patrons !
C’est en ce temps-là  que la fée MELUSINE vint habiter dans les cuves de SASSENAGE , n’apparaissant que de temps en temps pour charmer les hommes du pays.
Elle vécut très bien, pendant des millénaires, plongeant dans la rivière, se prélassant sur les rochers, étalant dans le noir ses cheveux de soleil comme un halo de lumière. Elle eut pour amis tous les animaux du monde, tous les poissons, les insectes et les fleurs et puis elle rencontra, un soir de pleine lune RAYMOND DE BERANGER, seigneur des environs, qui aussitôt fondit d’un amour ineffable pour cette créature aussi belle que douce. Il la supplia :  » Viens ! MELUSINE, habiter mon château, tu seras ma reine, mon adorée, ma joie !
–Je ne pourrais venir que les jours de semaine, car samedi et dimanche je dois toujours rentrer dans les cuves « .
RAYMOND intrigué qu’elle disparût ainsi chaque fin de semaine la questionnait sans réponse…Un jour, n’y tenant plus, il lui proposa de l’épouser : ainsi, elle serait bien obligée de rester au foyer…mais du fond de ses larmes, MELUSINE lui avoua alors son terrible secret : ayant commis une énorme bêtise, le tribunal des fées l’avait condamnée à  être une sirène chaque fin de semaine.
RAYMOND DE BERANGER ne se laissa pas démonter : il avait imaginé tellement pire ! Qu’importait pour lui que le samedi et le dimanche,elle fût une sirène : toute la semaine, elle resterait sa REINE, son amour, son adorée, sa joie !…Et des années durant, tout alla pour le mieux dans les cuves grondantes, le château et les cieux….Il arriva pourtant qu’un jour, sans prendre garde, MELUSINE absorba une plante toxique.Ses cheveux qui illuminaient les galeries s’éteignirent, ses forces la trahirent, elle se traîna tant bien que mal jusqu’au plus profond de la plus profonde galerie, et là , exténuée, ses yeux se fermèrent, elle resta allongée sur le flanc sans rire, sans parler et respirant à  peine.
Samedi et dimanche, RAYMOND DE BERANGER ne s’inquièta pas….Mais dès le lundi, ne la voyant pas revenir, le pauvre amant chercha où pouvait se trouver sa belle, son amour, son adorée, sa joie…Après mille recherches, dans les boyaux profonds, il la trouva enfin éteinte et affaiblie, un souffle à  peine s’échappait de sa bouche et aucun son ne semblait atteindre son oreille.
Aussitôt, BERANGER fit mander le sorcier….Mais celui-ci, hilare, lui fit répondre que les fées n’étaient pas ses amies et qu’elle n’avait qu’à  se sauver elle-même !
BERANGER fit clamer et dans tout son domaine qu’il cherchait la personne capable de soigner efficacement sa bien-aimée…Tout ce qu’on lui proposa s’avéra inutile.
Perdant tout espoir, RAYMOND DE BERANGER s’enferma dans son château dont les volets restaient hermétiquement clos, à  remâcher sa douleur…Un voyageur passant par là  , repèra ce château qui semblait inhabité, se renseigna. On lui apprit ce qu’il était advenu. Au gré de ses voyages, il avait connu un savant mandarin qui guérissait tous les maux. Il s’en vint donc frapper à  l’huis du château….Personne ne répondit tout d’abord..Il frappa plus fort…La porte s’entrouvrit :  » QUI ES-TU, TOI QUI VIENS TROUBLER MON CHAGRIN ?
–Faites excuse, seigneur DE BERANGER, mais je connais un sage qui sait guérir les fées.
–TU NE POUVAIS PAS LE DIRE PLUS TOT ? ! « 
Après avoir pris tous les avis de l’homme,RAYMOND sella son cheval et partit pour
la CHINE, à la recherche du sage mandarin. Le voyage fut long, bien fortes, les angoisses… Mais il parvint enfin, après deux ans de selle,à  rencontrer le sage. Celui-ci était très vieux, il était assis, les jambes en tailleur, et il fermait les yeux pendant que BERANGER lui parlait.Il se fit bien expliquer comment était la fée, ce qu’elle faisait, quelle était sa position….Il fit brûler un mois, des baguettes d’encens…réfléchit longuement pendant plusieurs mois, puis déclara enfin au voyageur qui mourait d’impatience :
 » Il faut trouver d’urgence, car la maladie gagne,
Un aliment sacré…cherche dans ta montagne
Il te sera donné par personne importante « 
Et le sage se tut .BERANGER , donc revint, au quadruple galop. DEUX CENTS CHEVAUX , MOURURENT SOUS SA SELLE, mais il fit en six mois le trajet de deux ans.
Quand il arriva, il courut droit vers celle que jamais sa pensée d’amant n’avait quittée un seul instant…Elle gisait toujours, et pâle, et sans vie.
Il manda des valets chez tous les princes de la terre…tous revinrent sans le moindre remède.
Il manda des valets chez tous les religieux : les évêques, les prêtres, les rabbins, les ulemas, les popes….personne ne connaissait le sage mandarin.
Il manda des valets chez les riches bourgeois : ils revinrent en haillons mordus et chassés par les molosses.
Bien qu’il eût promis de belles récompenses,personne ne parvint à  rendre à  la fée un regard plus vivant…
Alors, découragé, RAYMOND partit sans but à travers la montagne remâchant en pensée sa tristesse et sa peine. Il marcha un jour, sans manger, sans boire, sans dormir, une nuit, sans manger, sans boire, sans dormir, une deuxième journée, sans manger, sans boire, sans dormir, une deuxième nuit, sans manger, sans boire, sans dormir, une troisième journée, sans manger, sans boire, sans dormir, une troisième nuit sans manger, sans boire, sans dormir, une quatrième journée, sans manger, sans boire, sans dormir….Il s’écroula sous un frêne au quatrième soir et s’endormit….
COCORICO ! …RAYMOND se réveilla….Il se trouvait devant une chaumière où vivait une femme qui élevait des chèvres et UNE VACHE BLONDE AUX CORNES GALBEES COMME
LA DEESSE ATHOR DES EGYPTIENS.
Elle venait de traire sa bête qui, excitée par les mouches, lui avait donné des coups d’une queue souillée de bouse en travers du visage….
Dès qu’elle l’aperçut, la vieille l’interpela :
 » Mon maître, mandarin , par pensée m’a parlé, viens ! j’ai préparé ce qu’il faut pour t’aider « 
RAYMOND découragé, épuisé de tristesse regarda la pauvresse et se tut un moment…
 »Par personne importante, m’a dit le mandarin…Qui es-tu pour prétendre être de noble race ? « 
La vieille ricana : croyait-il, pauvre niais, que la seule valeur fût celle de naissance ? celle des écus ? ou celle de place sociale ?NON ! la seule valeur, mais là  vraiment féconde est puissance d’esprit.
 » AU MOINS, comment as-tu fabriqué ce présent ?  » demanda BERANGER quelque peu alarmé.
La vieille alors tendit sa main toute ridée, entraîna le seigneur vers l’étable où brillait comme un feu le pelage doré de sa vache sacrée aux cornes bien galbées
 » Le remède ordonné pour la fée MELUSINE , n’est pas un poison fabriqué en usine, c’est un liquide blanc que l’on a fait cailler, égoutter, mélangé à un peu de pain rassis.
Au fond de douces grottes, il a longtemps mûri, posé sur de la paille soit de seigle, soit de blé, pour donner un fromage et doux et persillé …MAIS CE N’EST PAS CELA QUI EN FAIT
LA VERTU :
SEULE
LA VACHE D’OR PEUT TE DONNER DU VRAI, DU BON, DE L’INEFFABLE…LES AUTRES NE FERAIENT QUE DE PALES COPIES.
Viens ! Prends ! Emporte ! et donne à  MELUSINE afin que resurgisse le bonheur et la joie !…Ne t’attarde pas au fond de ma cuisine ! Va ! Cours ! Vole ! Elle t’attend. Elle sait depuis longtemps que seul, peut guérir une fée aussi belle, le bon lait généreux donné avec largesse par la vache dorée des plateaux de VILLARD DE LANS . »
A la première miette, MELUSINE cligna des yeux. Après une bouchée, ses cheveux s’éclairèrent…Et quand tout fut avalé, MELUSINE se dressa toujours aussi belle.

C’est ainsi que depuis de nombreuses années, on trouve un peu partout du fromage que RAYMOND DE BERANGER a dit de SASSENAGE
MAIS
Si un jour vous trouvez sur un vague marché de la pâle copie donnée par lait de  » jailles  » et qui n’a pas mûri longuement sur la paille,….même si vous le trouvez délicieux,
INUTILE D’ALLER EN OFFRIR A DES FEES
Elles savent trop bien, elles que l’on ne peut tromper, que seul le lait sacré de nos VILLARD DE LANS peut redonner à  toutes et joie et grands élans.

2 Réponses à “Mon salon, à moi, de l’agriculture (7) rayon fromage”

  1. julie dit :

    Dis donc, ton récit vaut tous les fromages de France…
    Chapeau Gérard !!!
    Bisou Munster délocalisé :D

  2. 010446g dit :

    cela faisait partie des histoires que je contais autrefois autour de feux de bois…
    Les feux sont maintenant interdits… Mais le fromage de Sassenage reste un bon remède à toutes les maladies des fées
    bisou tout doux

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