Mon salon, à moi, de l’agriculture (6)

VELAGE

Ce soir, a dit le maitre, ce soir il faut veiller
Car la grosse Parise pourrait bien possonner*                   *vêler.
La Parise, c’est vrai vaut bien une veillée
Car tout ce qu’elle avait elle a toujours donné.
Depuis des jours, déjà, on la voyait cassée
Et le ventre tombé, la mamelle amouillée.
Ce soir, dans le pâquer*, elle a lorgné son maitre,               *pâturage
Regard de soumission, d’adoration peut-être,
A remué la queue, a refusé de paître,
Tous signes évidents que son veau allait naître.
Et dans la chaude étable faiblement éclairée
Ce fut le branle-bas: chacun s’est affairé ;
Un jas débarrassé, de paille est rembourré,
Le fumier du fossé a été récuré.
La Parise s’agite, tortille son fessier,
Le travail commence, il faudra patienter.
De moment en moment, on la voit s’agiter,
On sent au fond de soi la douleur se glisser.
Les vaches de ce temps n’étaient pas des usines,
Des machines à quotas : elles étaient des copines.
La Parise se couche, se tord et se relève,
Meugle un petit coup, se recouche…elle rêve ?
Mais non ! elle est debout, elle broute une bûche
Se retourne bondit, dans sa crèche se juche
Se recouche un instant. Son ventre, par saccades,
Se crispe et se détend, la douleur vient, s’évade.
Un moment on croit voir gonfler son périnée…
Erreur ! elle se relève, pas du tout chagrinée
Et se met à tirer le foin du râtelier…
Minute de répit… on met les tabliers
Car on sait que bientôt il nous faudra l’aider.
Tout à coup, dans un spasme et qui va déborder,
On voit le noir ballon des eaux se profiler.
Est-ce simple illusion ? Il est annihilé.
Mais la vache se couche et dans un prompt effort
Rejette le liquide qui la brûle et la tord.
Couchée, debout, couchée, debout encore
Elle s’affaisse enfin et on voit deux sabots
Qui se fraient un chemin recouverts d’un museau.
D’un geste agile et cependant très doux,
Le maitre s’est saisi des pieds qui s’offrent à nous.
Il les tient doucement tirés vers la naissance
En prononçant des mots d’amour et de patience.
Un gros effort encore, les pieds peuvent plier.
Et ils sont aussitôt par une longe liés.
A chaque contraction, maintenant on s’affaire.
Un millimètre, un autre ! Ah ! c’est dur d’être mère !
Et puis brutalement, le gros crâne surgit
Des épaules, du dos et des cuisses suivi.
Le maître les reçoit entre ses bras puissants.
La Parise regarde, fière de son présent.
Elle aussitôt s’occupe et lui fait sa toilette.
Un coup de langue ici, là, le veau lève la tête.
Il est beau, ton petit, tout blond comme un épi.
Un morceau de coton lié sur l’ombilic,
Le corps bien séché, le poil bien lissé,
On le porte au jas, de paille tapissé.
Le maître alors revient, un banc, un seau en main.
Il caresse chacun des pis enflés trop pleins.
Les serre doucement, en fait jaillir le lait
Qu’il donne à
la Parise pour la bien consoler.
Le calvaire est fini, enfin la délivrance.
La bête et le maître en douce somnolence
Vont attendre le jour
Dans un halo d’amour. 

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